À Londres, on se mettrait d'accord sur un malentendu

10-11/11/1947

Tandis que s'achève la session de l'ONU et que se prépare la conférence de Londres, dans les couloirs des chancelleries court le bruit que l'URSS se disposerait à une politique plus conciliante.

Le fait n'est pas impossible. Remarquons d'abord le fait que la diplomatie soviétique procède toujours comme les vagues d'une marée montante, par avance et recul, mais le recul est toujours plus faible que l'avance. Ainsi en fut-il après l'affaire d'Azerbaidjan.

En outre, l'URSS vient d'obtenir ce qu'elle désirait, : une publicité gratuite. M. Vichinsky, s'en prenant à l'équipe dirigeante des États-Unis, y a troublé l'homme de la rue. Voilà pourquoi il a transformé en pilori la tribune de Lake Success. En outre, et le discours de M. Molotov pour le trentième anniversaire de la révolution russe a fait le reste, le chef de la délégation soviétique a achevé de créer dans son propre pays la psychose de peur nécessaire au maintien d'une austérité qui est tout autre chose que l'austérité britannique.

Le moment serait venu du reflux. Nous en voyons quelques signes. En premier lieu une légère détente dans les Balkans. Menus détails, mais significatifs : Tito rend des prisonniers autrichiens originaires de cette Carinthie qu'il réclamait jusqu'ici dans toutes les négociations autour du traité autrichien. Moscou a fait savoir à Sofia qu'il serait bon de reprendre les relations diplomatiques avec Athènes. Peut-être ne s'agit-il que de reporter ailleurs le front diplomatique. Malgré tout on a l'impression d'une suite au mouvement esquissé (nous en avons parlé en son temps) par les déclarations de Staline et de Molotov au leader travailliste Zilliacus.

Rapprochons-en le bruit selon lequel M. Molotov serait prêt à Londres à demander pour nous la Ruhr. Ici, la ficelle est un peu grosse. Outre que nous ne sommes pas de taille, hélas ! à garder la Ruhr, - et toutes les difficultés nous y attendraient qu'on connues les Britanniques – M. Molotov est toujours prêt à nous donner ce qu'il n'a pas plutôt que ce qui ne dépend plus que de lui : entendons la Sarre.

L'impression serait que les Russes vont tenter d’amorcer des compromis à Londres, non pas pour résoudre la question allemande, mais pour maintenir un statu quo dont ils espèrent tirer parti. Aussi feraient-ils juste assez de concessions pour que la rupture ne soit pas définitive, et qu'une nouvelle conférence à quatre succède à la prochaine.

Au fond, il se passe un peu ce qui s'est passé à l'ONU. Nous n'avons jamais cru à un abandon de cette institution par l'URSS, et nous avons dit pourquoi : cette tribune est nécessaire aux Soviétiques. Lake Success leur est un cheval de Troie dans l'opinion américaine. De même la rupture les isolerait complètement, les enfermerait avec leurs satellites, sans possibilité de manœuvre. Elle permettrait en outre aux Américains de renflouer tout à leur aise l'économie des pays occidentaux et de la Chine.

Les Américains se laisseront-ils manœuvrer ? Il est probable que oui. Vis-à-vis de leur opinion publique, ils ne peuvent rejeter d'emblée les demi-compromis russes. On l'a bien senti à la conférence de Moscou. Marshall y était venu pour quinze jours, décidé à tout obtenir ou à quitter la conférence. Il est resté deux mois et est reparti les mains vides.

Selon un mot de M. Bidault, « après la dernière chance, il peut y en avoir encore une autre ».

Reprenons ce que nous disais hier un diplomate : « On espère se mettre d'accord sur un malentendu ». On ne tranchera de la question allemande que juste ce qu'il faut pour qu'elle puisse encore rebondir.